#3 A l’est, du nouveau

Mais laissez-moi vous présenter…

Jeu de sept familles

Mon grand-père et ma grand-mère ne vous sont plus étrangers à présent. Et le reste de la famille ? Un tour d’horizon me paraît nécessaire avant de la suivre dans ses aventures.

  • Fichel et Etel Soura sont les parents de ma grand-mère. J’en sais peu sur eux, si ce n’est que Fichel est patron dans la sidérurgie. Possède-t-il un simple atelier ou une usine ? Je l’ignore.
  • Justina et Avraham sont les parents de mon grand-père. Avraham travaille dans la confection.
  • Kuba (Jacob) est le frère de mon grand-père. Il n’a que quatorze ou quinze ans.
  • Ma grand-mère avait plusieurs frères et sœurs, quatre à coup sûr, peut-être cinq ou six. Quelle terrible approximation, n’est-ce pas ? Elle est pour moi une des conséquences de la Shoah les plus tragiques : à la disparition succède l’oubli, autre nom de la résignation, et seconde mise à mort, bien qu’involontaire. L’espoir d’élucider ce flou et de faire resurgir les possibles silhouettes manquantes sur la photo est un des aspects qui me tiennent le plus à cœur dans ma recherche.
    Les autres membres de la fratrie que j’ai pu identifier sont Shmuel, Manye, Tseche (orthographe sans doute erronée mais que j’ai jusque-là échoué à rétablir) et Edge. En 1939, seules Manye et Tseché vivent encore en Pologne.
  • Samuel enfin est le fils de mes grands-parents, mon oncle donc. Il a trois ans quand la guerre éclate.

Pour en savoir plus sur ma famille maternelle, découvrez « Le petit monde de Léa »

Un coup de dés jamais n’abolira…

Pourquoi opère-on tel choix plutôt qu’un autre ? En cette époque de chaos et de confusion, les décisions prises en connaissance de cause n’avaient plus cours et le hasard avait la part belle…

Je disais dans mon billet précédent que Varsovie fut envahie par les Allemands. Cela commence par le bombardement de la capitale polonaise par les Stukas, bombardiers allemands. C’est ainsi que la maison d’Avraham et Justina prend feu. En raison du dénuement dû au siège de la ville, l’eau manque pour éteindre l’incendie. Le temps que les flammes se propagent, ils n’ont que le temps de s’enfuir avec de maigres affaires. Je suppose qu’ils se réfugient avec leur fils Kuba chez Etel et Fichel mais n’en sais pas davantage. Pourquoi chez Etel et Fichel ? Parce que c’est là que, pour une raison que j’ignore, vivent mes grands-parents – donc leur fils.

Quand la Pologne est envahie par les deux puissances (allemande et soviétique), la famille écoute à la radio des nouvelles du côté soviétique. Les conditions y paraissent meilleures. La Russie est aussi porteuse de l’idéologie socialiste, qui correspond à celle du parti juif auquel appartient mon grand-père, le Bund. La nouvelle frontière se trouve à 90 kilomètres environ à l’est de Varsovie. Mon grand-père étant le chef de famille, c’est à lui que revient la décision de partir ou de rester.

C’est ainsi qu’il se rend en éclaireur à Bialystok au nord-est, peut-être parce qu’il s’agit de la première grande ville proche du côté nouvellement soviétique, peut-être aussi parce que la population juive y est fortement implantée.

Malkinia

Jugeant la situation plus favorable de l’autre côté de la nouvelle frontière, mon grand-père revient chercher les siens. Sur quoi s’est-il fondé pour prendre cette décision ? Comment est-il arrivé jusqu’à Bialystok puis revenu ? Le voyage fut-il aisé ou risqué ? Je n’ai pas pris la peine de poser ces questions quand il était temps de le faire.
Voir la carte des déplacements

Le périple commence donc. Un matin, à peine un mois après l’invasion de Varsovie, Moszek, Lonia, Samuel, Justina, Avraham et Kuba se rendent à la gare de Varsovie et prennent des billets pour le village près de la nouvelle frontière, Malkinia. Plus tard, en 1942, Malkinia sera une étape pour les Juifs déportés du ghetto de Varsovie vers Treblinka, toute proche.

Etel et Fichel restèrent à Varsovie. Ce fut aussi le cas des sœurs de Lonia, Manye et Tseché, peut-être pour ne pas laisser leurs parents seuls, assurément dans l’ignorance de ce qui les attendait. On n’a jamais retrouvé leur trace.

Ils sont donc 6 à partir. Se doutent-ils que c’est le début d’une longue odyssée ? Bien des réfugiés pensaient que Hitler serait rapidement vaincu et qu’ils ne tarderaient pas à retrouver leur foyer. On peut imaginer que ce fut le cas de ma famille.

Laissons-la descendre du train et rejoignons-la lors d’un prochain billet pour la première épreuve : comment va-t-elle réussir à passer la nouvelle frontière, déjà sous surveillance ?

Je parlerai aussi de la façon dont j’ai pris connaissance de ces événements. Par mes grands-parents ou ma mère, tout naturellement ? La manière fut plus détournée et lui donne à mes yeux d’héritière de la troisième génération la valeur inestimable d’un récit arraché à l’oubli.

Gare de Malkinia en 1942. Source : www.audiovis.nac.gov.pl

Léa de Kokjengak

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *