#21 Hôtel de Vittel

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En juin dernier, un colloque s’est tenu sur le camp de Vittel. En 1944, mon père, sa mère, sa sœur y avaient été internés en tant que citoyens britanniques.
Ces deux journées de conférences et d’échanges, auxquelles j’ai assisté, m’ont beaucoup appris sur ce lieu de détention à l’histoire complexe et peu connue, et bien sûr sur l’histoire de mon père pendant la guerre.

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Le camp de Vittel en images

Avant de continuer l’histoire de mon père dans le camp de Vittel, voici quelques photos d’archives conservées à la photothèque du Mémorial de la Shoah. Des aspects positifs du camp y apparaissent : les cours pour enfants, les représentations théâtrales…

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L'entrée du camp et la réception des visites (à droite), juillet 1941.

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Vue du camp lors d'une visite officielle du Comité international de la Croix-Rouge.

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L'un des hôtels composant le camp, 1943.

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Le commandant du camp Otto Landhauser et des civils.

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Internés consultant une liste de noms, 4 juillet 1941.

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Enfants internés à la Villa Finck jouant, et une religieuse au camp lors d'une visite officielle du CICR.

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Enfants internés à la Villa Finck, en classe, le 2 février 1944.

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Femmes britanniques et américaines internées posant déguisées en juillet 1943.

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Les élèves d'un cours de dessin pour internés en 1943.

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Liste incomplète des entrées et libérations des internés des camps de Melun et Vittel (janvier 1943).

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Passerelle entre le Central Hôtel et un autre bâtiment du camp.

Ces images ne doivent pas gommer les aspects tragiques du camp de Vittel, que j’aborderai dans un prochain billet.

Hôtel des Thermes

J’ai fait une découverte lors de ce colloque à Vittel. Il s’agit du lieu précis où mon père, ma grand-mère et ma tante étaient logés. Mon père se rappelle seulement qu’un bac à sable, où il lui arrivait de jouer, se trouvait à l’arrière du bâtiment. Indice à peine plus fiable que du sable qui vous glisse entre les doigts. En plus de soixante ans, cet espace de jeu avait pu disparaître.

Et puis un documentaire sur le camp de Vittel a été projeté durant le colloque. Le seul existant à ma connaissance sur ce sujet : Passeports pour Vittel, de Joëlle Novic. J’avais déjà vu ce film, mais de toute évidence quelque chose m’avait échappé.

Au début du film, Joëlle Novic se rend avec sa tante et son oncle, Renée et Léon  Novic, anciens détenus à Vittel, sur les lieux de l’ancien camp. Renée désigne la fenêtre d’un hôtel : « Ma chambre avec Aviva est celle avec le balcon. » Il s’agit de l’hôtel des Thermes. Mais s’agit-il de mon Aviva – ma tante ? Sans aucun doute, affirme l’intéressée. C’est un prénom très rare, même en Israël. Elle assure avoir été la seule Aviva du camp. Elle avait tenu à garder son prénom juif en dépit des exhortations à s’en défaire.

Je suis allée voir l’hôtel des Thermes. Suis-je objective ? C’est à mes yeux le plus beau de Vittel. Ma méconnaissance architecturale m’empêche de le décrire de manière adéquate. Heureusement, il y a les photos.

L’hôtel endormi

Un des aspects qui m’ont le plus frappée est l’abandon dans lequel se trouve cet élégant édifice. Il apparaît au premier coup d’œil qu’aucun touriste ou curiste n’y a mis les pieds depuis très longtemps. Mais cela ne fait qu’ajouter à son charme, comme s’il s’agissait d’un château de belle au bois dormant n’attendant qu’un coup de baguette magique pour revenir à la vie.
Peut-être pour le protéger des dégradations, ou pour empêcher les visiteurs d’y entrer et de s’y blesser, l’hôtel est entouré d’un grillage. Je pense aux barbelés qui ceignaient les hôtels de Vittel au temps où ils servaient de lieux d’internement.

Cela me fait songer à une malédiction, une vengeance de l’histoire. Pourtant, ce n’est pas cet hôtel qui a connu les moments les plus tragiques du camp de Vittel, comme vous vous en rendrez bientôt compte. Alors, comment un aussi bel édifice peut-il être ainsi laissé à l’abandon ? Intriguée, j’ai fait quelques recherches sur Internet et pris contact avec le musée du Patrimoine de Vittel. Sa présidente m’a envoyé des articles de presse qui retracent les aléas qu’a connus cet hôtel depuis une dizaine d’années. Une histoire à rebondissements.

Adieu palace

Propriété du groupe Partouche, connu pour posséder plusieurs casinos, l’hôtel des Thermes est resté inexploité durant plus de trente ans. La raison est à rechercher dans l’évolution des modes de vie, m’explique la présidente du musée de Vittel. Les curistes ont commencé à préférer louer un appartement plutôt que de loger à l’hôtel, qui a perdu sa rentabilité.

En 2007, l’hôtel des Thermes est racheté par la municipalité. C’est alors que le coup de baguette qui redonnerait magiquement vie à l’édifice semble devenir réalité. En mai 2009, un homme d’affaires israélien, Amnon Leshem, signe un compromis de vente pour le racheter à hauteur de 500.000 euros. Le but est de le rénover pour en faire un palace, dans le cadre d’un projet de balnéothérapie et de tourisme très ambitieux centré sur Contrexéville. Un investissement de 12.000 euros est prévu pour cette rénovation.

Mais les travaux s’arrêtent en 2012. Amnon Leshem est écarté et le projet est repris par l’investisseur principal, le Belge Frank Bamélis. Un nouveau projet, moins glamour, est dévoilé en 2014 : une résidence haut de gamme non médicalisée  pour personnes âgées. Elle n’a pas non plus vu le jour(1).

Au moment d’écrire ce billet, je saisis à tout hasard sur Internet les mots « hôtel des Thermes » et « Vittel ». Et je tombe sur un article de Vosges Matin, publié quelques heures plus tôt. Un arrêté de péril a été pris par le maire en raison de l’état de délabrement du bâtiment. Frank Bamélis est sommé de murer les ouvertures et de clôturer le site de façon à le rendre inaccessible(2). Dernière étape avant la destruction ?

Souvenirs de Vittel : inventaire

Les souvenirs de mon père attachés à cet hôtel, quant à eux, ont disparu depuis longtemps. Lui restent, ainsi qu’à sa sœur, quelques réminiscences de leur séjour forcé à Vittel. J’en fais la restitution pêle-mêle, dans un esprit proche du « Je me souviens » de Perec.

Leur chambre était chauffée. Ils avaient le droit de sorti de l’hôtel et de se promener dans le parc. Aviva se souvient des violettes du parc, qui sentaient si bon. Mon père se rappelle les coccinelles. Quand des visites guidées étaient organisées, ils pouvaient visiter les thermes.

Des religieuses organisaient des cours pour les enfants. Mon père se souvient des mots d’anglais ainsi appris : door, window, ceiling : porte, fenêtre, plafond. Aviva raconte qu’elle se rendait souvent chez le grand poète Itzhak Katzenelson et le célèbre journaliste Hillel Seidman, tous deux Juifs polonais venus du ghetto de Varsovie. Ils lui auraient appris ses premiers mots d’hébreu. C’est à Vittel qu’elle a appris la méthode pour balayer : il fallait partir du mur et aller vers le centre de la pièce. Ce souvenir lui revient encore aujourd’hui quand elle refait ces gestes. Elle a appris à faire du café filtre – c’était sans doute alors de la chicorée.

Mon père se souvient du jour de ses quatre ans et demi, de la joie qu’il a ressentie. Sans doute sa mère le lui avait-elle annoncé comme un jour de fête.
Je me rappelle mes quatre ans et demi comme d’un grand jour, aussi. J’étais persuadée que j’allais avoir un cadeau. Ma mère m’a expliqué que les demi-années ne se fêtaient pas. Peut-être cette idée que c’était une date importante m’avait été soufflée par mon père, qui avait en tête son propre souvenir de ce jour à Vittel.

Léa de Kokjengak

Découvrez aussi la biographie illustrée, la chronologie et la géographie des déplacementsles vidéos dans les rubriques dédiées de « Pain au pavot de Varsovie ».

(1) Synthèse de plusieurs articles parus dans Vosges Matin et Les Échos entre 2011 et 2015.
(2) « Ancien hôtel des Thermes : un arrêté de péril en cours », Vosges Matin, 23 septembre 2017.

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