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Kök-Janggak, au Kirghizistan, entre 1942 et 1944. C’est là qu’a lieu l’accident de mon grand-père, dans une mine de charbon. C’est là aussi que naissent ma mère et son frère, des jumeaux. Et ce n’est pas la fin des événements qui bouleversent l’existence de ma famille dans cette obscure localité d’Asie centrale.
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Suite ashkénaze
Depuis que j’ai commencé mes recherche sur l’histoire de ma famille, tout semble me montrer la voie, même le plus étranger des sujets. Prenez le film lumineux de Pascale Breton, Suite armoricaine, que j’ai vu il y a quelques semaines.
Une femme revient enseigner dans la région de sa jeunesse, en Bretagne. Une scène en particulier : dans la cafétéria de l’université de Rennes, elle raconte à son ami bibliothécaire son rêve de la veille. Un universitaire installé près d’eux, qui a entendu la conversation, lui demande de venir le voir au département d’ethnologie, où son collègue et lui collectent les rêves liés à la culture bretonne.
Elle leur raconte qu’elle accompagnait son grand-père guérisseur, l’aidait à cueillir les plantes qui faisaient disparaître les peurs… ou les dartres. Éclate en sanglots, saisie par l’émotion d’avoir fait ressurgir si soudainement ce passé jamais partagé.
Joie bouleversante de sortir de soi un souvenir lié à l’héritage, que l’on croyait avoir oublié et qui nous fait « reprendre racines ». Elle en pointe l’importance pour notre intégrité, sous peine de se dessécher comme des fleurs coupées. Dans cette scène, avec la collecte des rêves bretons, on assiste aussi au passage du souvenir personnel au statut de patrimoine culturel. Je retrouve ces problématiques dans la culture ashkénaze, avec les tentatives de préserver le yiddish et la disparition de la génération qui a vécu la Shoah. Une perte à laquelle aucun guérisseur ne peut remédier.
La mort d’Avraham
Lors de l’enterrement de mon grand-père, en 2005, l’un de ses trois enfants a prononcé un discours d’hommage. Il s’agissait de son fils cadet, celui né le même jour que ma mère. Il a en particulier évoqué un événement dans l’histoire de son père : ce dernier a enterré son propre père à Kök-Janggak « à mains nues dans la neige ». C’est l’expression qui m’est restée. Peut-être a-t-il seulement dit : « de ses mains ». Peut-être n’y avait-il pas de neige. Mais la première image saisissante, dramatique, contenant aussi quelque chose d’épique, est demeurée, faisant écho dans mon esprit au récit, épique également, de la naissance de ma mère.
Après l’enterrement, nous avons tous rejoint le café le plus proche de l’entrée du cimetière, comme toujours en ces occasions. Ou lors des anniversaires de décès, les yourzeit. Quelqu’un, peut-être ma mère, a interrogé mon oncle à propos de cet épisode que nous étions nombreux à ignorer. Certains avaient une version différente dont je n’ai hélas plus souvenir. Mon oncle et ma mère, que j’ai interrogés au moment de rédiger ce billet, non plus. Lui tenait ce récit de son père.
« À mains nues dans la neige ». Je ne saurai jamais si cette image est fidèle à la réalité ou dramatisée. Une chose du moins ne fait aucun doute : sa femme, ses enfants et ses petits-enfants, une fois qu’il ont quitté Kök-Janggak, n’ont jamais eu la possibilité de se recueillir sur la tombe de mon arrière-grand-père. De célébrer son yourzeit comme nous le faisons tous ensemble pour mes propres grands-parents.
Écoutons à présent Kuba raconter la mort d’Avraham à Kök-Janggak :
Typhus ou typhoïde ?
Concernant la cause du décès, on voit que mon grand-oncle hésite entre typhus et typhoïde. Pour me faire une idée, je me suis simplement rendue sur Wikipedia. Voici les informations qui ont retenu mon attention :
– Le typhus est notamment transmis par les poux.
– « Il « a été responsable d’un certain nombre d’épidémies au cours de l’histoire. Ces épidémies tendent à suivre les guerres, les famines et d’autres circonstances ayant comme conséquence des déplacements de populations. »
– Il « a tué plusieurs centaines de milliers de prisonniers dans les camps de concentration de l’Allemagne nazie, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les conditions d’hygiène abominables imposées dans des camps comme Theresienstadt et Bergen-Belsen étaient telles que des maladies comme le typhus se sont largement propagées. »
– La typhoïde est « une maladie tout à fait différente, provoquée par divers types de salmonelles, et ne doit pas être confondue avec le typhus en dépit de leurs noms proches(1) ».
Le doute est levé.
Pas de yourzeit pour Golda
C’étaient des temps de guerre, et je n’ai pas à chercher bien loin d’autres récits proches de celui-ci dans ces années de tourmente. Un jour qu’elle allait rendre visite à sa mère malade à l’hôpital, à l’époque où sa famille et la mienne se trouvaient dans la république des Komis, ma grand-tante Genia, la future femme de Kuba, a trouvé son lit vide. Elle a juste eu le temps de voir son corps être emporté et de lui offrir une sépulture de fortune. Comme pour Avraham, il n’est pas possible de se recueillir sur la tombe de Golda.
Dans le prochain billet, je reprendrai le fil de l’histoire de ma mère, avec un nouvel épisode qui continue de me stupéfier encore aujourd’hui.
Léa de Kokjengak
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