#12 Indigènes d’Eurasie

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À la suite de l’opération Barbarossa qui voit l’Allemagne se retourner contre l’URSS en juin 1941, le jeu des alliance change. L’URSS accepte de libérer les Polonais emprisonnés.
Mon grand-père et les siens vont enfin pouvoir quitter la république des Komis où ils ont été déportés à l’été 1940. Adieu froid et travail forcé !

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Toujours semer les pavots

Voici des mois que je délaisse « Pain au pavot ». Un travail accaparant, un voyage de mémoire à Varsovie, des recherches, tout cela a différé la rédaction.

Ensuite, le fer est devenu si froid que je ne pouvais plus le battre. Le syndrome du « blog blanc ». Devant la difficulté à renouer avec ce récit/recherche, je me suis interrogée. Je ne retrouvais plus le feu des motivations premières. Pourquoi épuiser mon temps libre dans la recherche, la collecte, le passé ?

Puis je me suis rappelé mon pari. Moi l’étourdie, la désorientée. Quitte à être complètement à l’est, autant savoir dans quel far est plongent mes racines : en Pologne, en URSS, dans quelle URSS ? Et si cette manière d’ancrage avait le pouvoir de régler ma boussole ? Savoir enfin où j’habite…

Conjectures peut-être fumeuses, comme élucubrées sous l’effet du pavot. Mais assez efficaces pour me faire reprendre le cours de mon récit.

Pas d’hésitation

Si les autorités soviétiques décident la libération de tous les Polonais détenus, sur place les choses ne sont pas si simples. Ma famille voit sa ration de nourriture prendre un peu de consistance. On lui vend des vêtements, on lui propose même une parcelle de terre à cultiver. Bref : on l’encourage à rester. Mais elle n’a qu’une idée en tête : prendre le large.

Un aspect cette triste vie à Kyltovo, dans ce Grand Nord glacial,  l’y incite : le travail est organisé de manière à séparer les proches. Ma grand-tante Genia travaille de jour et sa mère de nuit. Son père épuise sa santé incertaine dans les marais, à 20 kilomètres de là. Elle le rejoint à pied chaque semaine pour lui apporter des vêtements de rechange.

Et puis mon grand-père et les siens ne parlent évidemment pas le komi et on ne le leur enseigne pas. Surtout : ils ont continuellement faim et froid. Chaque jour voit son lot de décès. Je vous propose d’écouter Genia décrire quelques aspects de sa vie dans la république des Komis.

Ma famille reprend sa route le 24 août 1941. Comment je le sais ? Grâce à une personne dont j’ai fait la connaissance. Je vous ai parlé d’elle dans mon dernier billet. Sa famille, comme la mienne, a été déplacée de force dans la république des Komis. Elle m’a aiguillée vers un site de l’Institut de la mémoire nationale polonaise. Cette base de données recense les victimes de la répression soviétique de 1939 à 1956.

L’ironie vous saute sans doute aux yeux : c’est parce qu’elle a subi cette répression soviétique – au lieu de la terreur nazie – que ma famille a survécu.

Site recensant les victimes de la répression soviétique

 

Page de recherche des victimes du site http://www.indeksrepresjonowanych.pl/int/wyszukiwanie/94,Wyszukiwanie.html
Page de recherche des victimes du site http://www.indeksrepresjonowanych.pl/int/wyszukiwanie/94,Wyszukiwanie.html

Le formulaire de requête passé à la « moulinette » Google Traduction

 Page de recherche du site de recherche des victimes polonaises de la répression soviétique d'après la traduction Google

Une fois saisi le patronyme de mon grand-père, les incongruités de la traduction automatique ne m’empêchent pas d’obtenir les informations que je recherche.
J’ai effacé le nom : seules apparaissent les données relatives à ma requête.

Page de résultat pour le nom de mon grand-père
Page de résultat pour le nom de mon grand-père

Aidée de Google et secondée par une collègue franco-polonaise, je décrypte.
« Zwolnienie » signifie « libération ». En face est indiquée la date avec, de gauche à droite, l’année, le mois puis le jour. Dans la dernière colonne, je retrouve la ville du départ forcé et le lieu de déportation : respectivement Bialystok et Kyltovo.

Un voyage contre un manteau

Et maintenant ? Ma famille a entendu parler d’une ville au climat plus clément : Tachkent, en Ouzbékistan. C’est alors que la famille de Genia et la mienne se séparent. Comment l’idée de cette destination est-elle parvenue aux oreilles de mon grand-père ? Ni la vidéo où Kuba et Genia racontent leur histoire, ni leur récit ne me l’apprennent. Je sais seulement que ce choix n’a rien d’original. Des milliers de Juifs polonais alors libérés par l’URSS partent pour l’Asie centrale soviétique (1).

Écoutons mon grand-oncle nous raconter les circonstances de son voyage – plus de 3000 kilomètres !

Pourquoi tant de Juifs polonais libérés prennent-ils la même direction ? Rejoindre la nouvelle armée polonaise est-il une option ? Telles sont les questions parmi d’autres auxquelles je tenterai de répondre dans le prochain billet de « Pain au pavot de Varsovie ».

Léa de Kokjengak

(1) John Goldlust, “A Different Silence: The Survival of More than 200 000 Jews in the Soviet Union During World War II as a Case Study in Cultural Amnesia”, Australian Jewish Historical Society Journal, 2012.

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